L’an dernier, le Vaudois d’origine tunisienne Montassar BenMrad a été élu président de la Fédération des organisations islamiques de Suisse (FOIS), devenant la voix de près de 130 centres islamiques de tout le pays. Un défi pour cet homme discret et posé. Mais aussi une reconnaissance de sa déjà longue implication dans le dialogue interreligieux, lui qui, dès 1995, s’est investi dans l’ouverture d’un lieu partagé pour la prière et la méditation à l’EPFL. Et qui, trois ans plus tard, fut l’un des cofondateurs de la Maison du dialogue de l’Arzillier, à Lausanne. «
Beaucoup de musulmans ne souhaitent pas être visibles», constate Montassar BenMrad. Membre du comité de la FOIS au décès de son prédécesseur, le médecin suisse d’origine palestinienne Hisham Maizar, il a accepté de s’exposer. A sa manière, héritée d’un grand-père professeur de logique à l’Université religieuse Zitouna à Tunis, pragmatique et méthodique jusque dans son approche de la religion.
Les représentants des fédérations ont élu un homme à la foi incontestable, au parcours socioprofessionnel exemplaire et un polyglotte aux manières de diplomate, toujours tiré à quatre épingles. Des atouts indispensables tant le terrain autour des questions liées à l’islam est miné. Montassar BenMrad n’a pas tardé à s’en apercevoir: dès son premier plongeon dans le chaudron du talk-show de la télévision alémanique Arena, il a été sommé de se positionner sur des sujets n’ayant rien à voir avec le thème de l’émission.
«Certaines personnes se focalisent à voir les problèmes plutôt que de chercher des solutions. D’autres cherchent à créer de faux problèmes pour des raisons électoralistes», regrette-t-il. Sa méthode est autre: «Je cherche les intersections, les convergences, plutôt que les divergences. Lorsqu’on se connaît, il est plus facile de parler de nos différences. Notre pays, la Suisse, a su tirer parti de ses différences religieuses, en faire une richesse, un modèle de cohabitation qui fonctionne.»
«Je cherche les intersections, les convergences, plutôt que les divergences»
Le début de sa présidence a été douloureusement marqué par les attentats de Paris. Ce fut l’occasion d’une première en Suisse, une déclaration commune pour laquelle Montassar BenMrad s’est investi personnellement afin de mobiliser près de 250 associations et centres islamiques condamnant unanimement ces crimes. Comme il s’implique actuellement – bénévolement, jonglant avec un agenda ultraserré – pour rendre visible une fédération incontournable mais encore peu connue du grand public romand.
Communiquer, dialoguer, ce manager dans une multinationale sait le faire. En français, allemand, anglais ou arabe, s’il vous plaît. Son parcours est plutôt insolite. Né à Tunis, où il a vécu jusqu’à l’âge de 4 ans, il a été scolarisé dans une école française d’Allemagne, pays où son père ingénieur avait étudié puis travaillé. «Jusqu’au bac, j’avais une vision idéalisée de la Tunisie, que je voyais sous l’angle des vacances.»
A la surprise de beaucoup, il choisit l’Université de Tunis pour ses études puis sa formation d’ingénieur en informatique. «Je pensais que l’expérience là-bas y serait intéressante. J’ai dû commencer par m’intégrer.» Il retraverse la Méditerranée, direction cette fois la Suisse et l’EPFL, pour un travail de master puis un doctorat.
«J’étais alors intéressé par l’intelligence artificielle et les superordinateurs.» Il collabore avec Tim Berners-Lee, le fondateur du Web, et consacre sa thèse aux fondements des hypertextes. «A 36 ans, j’ai constaté que j’avais passé un tiers de ma vie en Tunisie, un tiers en Allemagne et un tiers en Suisse.»
«Suisse de tradition musulmane»
Marié à une Suissesse d’origine moyen-orientale, devenu père d’un garçon et de deux filles nés en Suisse, il s’expatriera quatre ans en famille à Dubaï au service d’une grande entreprise. «A l’école française, mes enfants ont suivi des cours d’arabe et de religion, c’était une richesse supplémentaire.» Entre l’EPFL, l’Uni et le gymnase, tous trois étudient actuellement à Lausanne.
«Ils se sentent à la fois Suisses et Tunisiens, capables de vivre différentes cultures tout en gardant leur identité propre.» Lui se définit comme un «Suisse de tradition musulmane», depuis une naturalisation intervenue logiquement lorsqu’il réalisa que la plus grande partie de sa vie s’était déroulée en région lausannoise. A vrai dire, ce perfectionniste, cet adepte du juste milieu épris de collégialité y est comme un poisson dans l’eau.
«La connaissance reste le meilleur vaccin et remède contre les extrêmes et la violence», professe le président de la FOIS. Qui, outre ses idées pour communiquer plus et mieux, pointe parmi ses priorités la recherche et le développement d’un dialogue avec les associations qui ne font pas encore partie de sa fédération. D’abord construire des ponts. (24 heures)
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